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Benoît Hamon, itinéraire d'un malin

Benoît Hamon à Matignon, lundi.
Benoît Hamon à Matignon, lundi. © PHILIPPE LOPEZ / AFP
Mariana Grépinet , Mis à jour le

Benoît Hamon, ou l'histoire d'un mec que personne n'imaginait remporter la primaire de la gauche. Sauf lui. Depuis sa victoire, il s'envole dans les sondages.

Manuel Valls est sa dernière victime. Benoît Hamon , membre actif du XV parlementaire a fait du «cadrage débordement», cette manœuvre qui consiste en rugby à laisser son adversaire sur place en accélérant, sa spécialité. Réputé pour être «un teigneux» et surtout «un mauvais perdant», il a plié le match. Personne, ou presque, ne l’avait vu venir. Il a réussi le tour de passe-passe d’apparaître comme le nouveau visage de cette campagne, lui, le professionnel de la politique, membre depuis plus de 30 ans du PS.

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Il y entre par SOS-Racisme. Des badges «Touche pas à mon peuple», distribués par le FN circulent dans son lycée. Il envoie un courrier pour recevoir les petites mains jaunes «Touche pas à mon pote» et organise la riposte. «Je revenais de Dakar où j’avais vécu pendant cinq ans dans un contexte très multiculturel», raconte t-il. Il manifeste ensuite contre les lois Devaquet et devient vite chef de bande. «Je n’étais pas le plus costaud mais j’étais le plus bagarreur», glisse-t-il en racontant ses faits d’armes, les raclées des «fafs», les militants d’extrême droite. «On se battait et qu’est ce qu’on rigolait», dit-il attablé devant un verre de vin blanc, à 1 heure du matin après un de ses meetings en province. Benoît Hamon rate sciemment le concours des arsenaux auquel l’avait inscrit son père –«il y avait gravi tous les échelons, pour lui, c’était la sécurité de l’emploi… son revenu universel en somme», plaisante-t-il. Il fera de l’histoire. Et entre au MJS (mouvement des jeunes socialistes), «l’école du vice», ironisait Mitterrand. L’organisation est divisée. «C’était le bac à sable des courants du PS», décrit Régis Juanico qui le rencontre à cette époque et qui vient d’être désigné mandataire financier de la campagne présidentielle.

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Hamon s’impose. Recrute et fait passer le MJS, dit-on, «de 500 à 3000 adhérents». Il crée un réseau sur l’ensemble du territoire. Déjà percent ses talents de négociateur «certains diront d’apparatchik, admet Juanico, mais il en faut» : il réussit à faire travailler ensemble les différents courants. Et surtout à obtenir l’autonomie du mouvement. Et pour s’en faire élire président, lui qui vient de fêter ses 26 ans, fait passer l’âge limite de 25 à 29 ans.

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Son parcours est lié à celui de sa bande de potes. La plupart de ceux qui sont à ses côtés aujourd’hui le suivent depuis ces années-là. Il les embarque dans des choses compliquées, des histoires de motions, de contributions à des congrès… Certains le lâchent. Pas Pascal Cherki qui loue sa manière d’envisager la politique : «Benoît ne croit pas au destin individuel, il défend les instruments collectifs de combat et est attaché aux syndicats, aux associations, aux partis.» Hamon est le roi des «coups». En 1994, sous Balladur, il critique «la France en pyjama» et parvient avec un petit commando à se retrouver en pyjama sous les fenêtres du Premier ministre. «On a eu une page dans un des quotidiens du lendemain», se souvient un des membres de la troupe. Il est aussi l’inventeur des carrés de jeunes dans les meetings. Celui qui le premier a eu l’idée de mettre au premier rang des adolescents avec tee-shirt siglés chargés de mettre de l’ambiance. Une «science de l’organisation» qui devrait lui être utile dans les mois à venir.

Le "p'tit Ben" a gravi les échelons, dans la foulée de Rocard, Jospin, Aubry... ses mentors

Lorsqu’il prend la parole pour la première fois dans l’hémicycle en 2012 en tant que ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire et à la consommation, ses potes sont encore là. «Je remplaçais Pierre Moscovici pour un truc technique, très chiant, se souvient-il. Et Cherki, Hanotin, Juanico se sont mis en face de moi et ont hurlé "Bravo, bravo, voilà la vraie gauche !"» Il en rit encore en racontant l’épisode. Car le «p’tit Ben» a gravi les échelons, dans la foulée de ses mentors, Michel Rocard, Lionel Jospin, Martine Aubry puis Henri Emmanuelli. «Avec Martine, il a découvert le fonctionnement de l’Etat, décrypte Pascal Cherki. Elle a toujours été bienveillante avec lui.» Et vice-versa. En 2008, au fratricide congrès de Reims, il arrive troisième avec 18% et porte Martine Aubry rue de Solférino. En parallèle de sa carrière nationale, il essaie de s’implanter localement. Il se plante dans le Morbihan, lorgne sur l’Essonne, finit à Trappes où il se fait élire en 2012, dans la foulée de la victoire de François Hollande. Ce dernier le nomme ministre, à Bercy puis à l’Education nationale où il entre dans l’histoire comme le plus éphémère locataire de la rue de Grenelle. Son meilleur souvenir au gouvernement? Le vote de «sa» loi consommation en mars 2014. «Une loi très politique, votée par toute la gauche qui m’a valu une grosse bagarre avec les lobby», insiste-t-il. Une loi utile en effet, qui crée les «class action» (ou actions de groupe), libéralise la vente de lunettes, définit «le fait-maison» pour les restaurateurs.

Benoît Hamon poursuit sa mue politique

Cinq mois plus tard, il entre en dissidence et claque la porte du gouvernement. Benoît Hamon devient le frondeur en chef. Il planche, lit beaucoup, et notamment les ouvrages de la philosophe Chantal Mouffe, proche du parti espagnol Podemos qui inspire aussi Jean-Luc Mélenchon. Et Hamon poursuit sa mue politique. Elle a commencé, explique t-il, à la naissance de ses deux filles, Liv et Milana, 9 et 5 ans aujourd’hui. Depuis, il ne peut plus concevoir d’être socialiste sans être écologiste. Lui si pudique les évoque à chaque meeting. «La paternité a fait de lui un adulte, au sens plein du terme, analyse son ami Pascal Cherki, parrain de Milana. Il a développé un sentiment de responsabilité, pour ses propres enfants et pour les générations futures dans leur ensemble.» Hamon a rangé son perfecto dans l’armoire. Sa compagne, Gabrielle, mi-catalane mi-danoise, a joué aussi un rôle. Ils se sont rencontrés au parlement européen au début des années 2000. Lui était député, elle travaillait à la commission européenne, comme spécialiste des réglementations culturelles. Depuis, elle est passée par l’INA avant de devenir responsable des affaires publiques à LVMH. «Elle est de gauche mais n’aime pas la violence intrinsèque au combat politique», précise un proche.

En images : Benoît Hamon et les autres, leur jeunesse en photos

Benoît Hamon (2e à gauche), Michel Rocard (au centre) et Manuel Valls (deuxième à droite de Rocard) en septembre 1986 à l'université d'été des Jeunes rocardiens.
Benoît Hamon (2e à gauche), Michel Rocard (au centre) et Manuel Valls (deuxième à droite de Rocard) en septembre 1986 à l'université d'été des Jeunes rocardiens. © STEVENS FREDERIC/SIPA

La campagne de Benoît Hamon commence le 11 juillet dernier à l’Européen, une brasserie au décor rétro en face de la gare de Lyon. Il y a convié son carré de fidèles. Ordre du jour : faut-il se préparer à la primaire? «C’était assez partagé, reconnaît un participant. On se dit que François Hollande va être de toutes façons candidat, que Benoît risque de s’abimer dans un scrutin perdu d’avance pour la gauche. Mais lui décide d’y aller avec un argument simple : incarner la nouveauté.» Lorsqu’il se déclare, l’intéressé reconnaît voir dans le regard des autres «un peu de condescendance». La suite de l’histoire est plus connue. Hamon ne s’économise pas, multiplie les meetings. Se fait pédagogue. Impose ses thèmes : revenu universel, lutte contre les perturbateurs endocriniens, 49.3 citoyen, visa humanitaire pour les réfugiés, etc. « Il a réveillé une primaire qui s’annonçait plan-plan et convenue», résume Mathieu Hanotin, son directeur de campagne. «Le pire c’est que ça marche!», reconnait le secrétaire d’Etat Jean-Vincent Placé. Avec Hamon, pour la première fois, un candidat à la présidentielle ose dire qu’il ne prétend pas détenir la vérité, qu’il peut se tromper. Ses amis le voient gagner en gravité, lui dont on raille le manque de «présidentialité». «Tout le monde l’a sous-estimé et continue de le sous-estimer, juge le ministre Thierry Mandon. C’est un malin. Et les batailles d’appareil, il sait faire.»

En tendant la main à l’écolo Yannick Jadot et à Jean-Luc Mélenchon , Benoît Hamon veut imiter François Mitterrand qui a étouffé le communiste Georges Marchais en l’embrassant. Mais il faut faire vite. Son équipe cherche un local de campagne, 1000m2 près de Montparnasse et promet, selon les mots de son lieutenant Roberto Romero, «une campagne en mode guérilla». «Le réel, c’est quand on se cogne», écrivait le psychanalyste Jacques Lacan. Il reste deux mois et demi à Benoît Hamon pour se frotter au réel.

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