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Le match des consultants

Alors que la Coupe du monde débute le 12 juin, télévision et radio font massivement appel à d’anciens joueurs pour offrir une analyse technique des rencontres. Un exercice qui peut vite tourner à vide.

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Publié le 10 juin 2014 à 14h44, modifié le 10 juin 2014 à 19h20

Temps de Lecture 8 min.

Jean-Alain Boumsong pour BeIN Sports.

Ils ont troqué leur maillot pour une cravate et une veste de costume. Le fond de teint a remplacé les gouttes de sueur. Depuis plusieurs années, d'anciens footballeurs – au palmarès glorieux ou plus modeste – n'occupent plus les terrains verts, mais les plateaux de télévision et les studios de radio. Ce genre de commentateurs sportifs a su se rendre incontournable, au point de faire partie de la «stratégie de l'entreprise», reconnaît Céline Pigalle, directrice de la rédaction de i-Télé.

« Un événement sans consultant serait inenvisageable aujourd'hui, assure Mourad Zeghidi, journaliste à Canal+ qui a commenté des dizaines de matchs avec Didier Deschamps, Marcel Desailly, Daniel Bravo et bien d'autres encore. Il est devenu un accompagnateur indispensable de récit de match. Il donne une crédibilité et une légitimité, car on part du principe qu'il sait de quoi il parle. »

Bixente Lizarazu (TF1/RTL), Alain Roche (i-Télé), Christophe Dugarry (Canal+), Ali Benarbia et Grégory Coupet (RMC), etc. Toutes ces anciennes stars du ballon ont retrouvé une nouvelle vie dans les tribunes de presse. « C'est une deuxième carrière », s'enthousiasme Jérôme Rothen, jeune retraité et nouveau (depuis huit mois) dans le métier (Canal+/RTL). Perçu comme une « plus-value », le rôle du consultant est très simple : « Il doit faire partager ce qu'il a lui-même vécu », souligne Christian Ollivier, le patron des sports de RTL. « Il faut qu'il parle à l'auditeur comme s'il était sur le terrain », précise Jacques Vendroux, le chef des Sports de Radio France.

On attend de lui qu'il donne son ressenti, livre son expérience tactique et technique d'ancien joueur avec sincérité et, si possible, en laissant la langue de bois au vestiaire. Débats, polémiques, buzz, vannes… Le consultant fait la loi en donnant son avis. « Il dit tout haut ce que pense tout bas le journaliste », avoue Mourad Zeghidi. « Mais sans fracasser les joueurs. J'ai suffisamment souffert de la petite phrase injuste, insiste Rothen. Donc, même si cela doit faire mal, je ne me gêne pas, mais ça ne sera pas gratuit, j'argumenterai. » « Et le consultant doit être aussi exhibe, extravagant, et un bon pédagogue », ajoute Pascal Praud, qui officie sur RTL et tous les soirs sur i-Télé.

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Chaque antenne a ses émissions de « talk sport » avec ses visages, son armée d'experts : « Canal football club » (Canal+), « On refait le match » (RTL), « 20Heures foot » (i-Télé), « Le Club » (BeIN Sports), etc. Et depuis 2001, RMC a même fait de ce genre son ADN avec des consultants qui ont donné leur nom aux programmes : Luis Fernandez (« Luis attaque »), Rolland Courbis (« Coach Courbis »), Jean-Michel Larqué (« Larqué foot »), avec des audiences qui frisent le million d'auditeurs le soir. « Ce métier a énormément évolué, remarque Jean-Michel Larqué. Mais nous avons pris le train en marche, dans d'autres pays, ce genre d'émissions existe depuis très longtemps. »

Bixente Lizarazu pour TF1.

Le prochain Mondial au Brésil (du 12 juin au 13 juillet) a été l'occasion pour les différentes chaînes et radios de débaucher des noms ou de faire émerger de nouveaux talents. Ainsi TF1, qui a les droits de la Coupe du monde, a enrôlé, au côté de Bixente Lizarazu et d'Arsène Wenger, les champions du monde 1998, Youri Djorkaeff et Frank Leboeuf. BeIN Sports envoie certains de ses nombreux consultants, comme Jean-Alain Boumsong, à Doha au Qatar, dans leur studio dernière technologie de 900 m2. Europe 1 continue avec « l'inoxydable » Guy Roux, consultant de cette antenne depuis 1992, et le mal-aimé Raymond Domenech, mais aussi une ancienne joueuse, Marinette Pichon. Du côté de RTL, on entendra Charles Biétry, Cristiano Marques Gomes, alias Cris, ou encore Vincent Guérin. RMC a investi quelque 2,5 millions d'euros sur ce Mondial. Radio France fait confiance à Claude Leroy, actuel sélectionneur du Congo et la liste est loin d'être exhaustive.

UNE « GUERRE » QUI NE DIT PAS SON NOM

Une sorte de « guerre » qui ne dit pas son nom se joue autour des consultants, surtout entre Canal+ et BeIN Sports. Certains contrats d'exclusivité peuvent courir sur plusieurs années et atteindre facilement six chiffres par an. « La guerre existe, mais je n'y participe pas, assure Christian Ollivier, il faut recruter malin. Des Biétry ou des Cris sont à l'abri du besoin, ils viennent prendre du plaisir. » Et ça peut aussi donner une visibilité au Brésilien Cris qui souhaite devenir entraîneur. A Radio France, la pige peut culminer, pour les plus grands noms, à 400 euros. « Moi, j'ai tué le marché », sourit Jacques Vendroux.

Recruter malin donc. i-Télé se félicite d'avoir réussi à convaincre Alou Diarra, ancien capitaine des Bleus, de rejoindre la chaîne. « Personne n'avait pensé à lui, c'est le coup de l'été, et j'en suis fier, s'enorgueillit Olivier le Foll, patron des Sports de la chaîne d'information continue. Et ça n'a jamais été une histoire d'argent. » Alou n'aura ni consigne, ni oreillette : « Il dira ce qu'il veut, il n'y a pas de limite, ajoute Olivier le Foll. Le conseil que je donne aux consultants: “Faites-vous plaisir et le téléspectateur en prendra”. »

Pour espérer être recruté, mieux vaut savoir s'exprimer. « Quand j'étais joueur, j'étais un bon client pour les journalistes, j'alimentais bien leur papier », explique Jean-Alain Boumsong (beIN Sports). Alors qu'il n'avait pas été retenu pour le Mondial 2010, il fut consultant sur Europe 1, où il prit du plaisir à cet exercice d'« oralité ». D'ailleurs, il faut écouter ces anciens joueurs parler de leur nouveau métier.

Jérôme Rothen veut devenir une « référence », Patrick Mboma (RMC) est fier de dire qu'il est aussi « consultant sénior à Canal+ Afrique ». Mais pourquoi vouloir devenir consultant à tout prix? « Vous devenez un personnage extrêmement influent du foot auprès du public et des professionnels, au même titre que les stars et les entraîneurs. Vous faites l'opinion, assure François Pesenti, directeur des sports de RMC. Aujourd'hui, lorsque Rolland Courbis se ballade à Marseille, on ne le reconnaît plus comme l'ancien entraîneur de l'OM mais comme l'animateur de RMC. » D'ailleurs, Courbis, toujours en activité, a constamment une petite machine avec lui, appelée scoopy, qui lui permet de faire son émission n'importe où en France ou dans le monde.

Mais étonnamment, on apprend ce métier sur le tas. « Il n'y a pas de centre de formation, ça viendra un jour », raconte en souriant Jean-Michel Larqué. L'ancien ballon d'or africain Mboma a dû apprendre les codes du métier. Par exemple, pour ceux qui font du commentaire de match, il faut savoir que le consultant doit se taire dans les trente derniers mètres… « On ne te dit pas ce que tu dois faire, raconte Patrick Mboma. Et bien s'exprimer ne suffit pas, il faut travailler. » « C'est du bon sens et du feeling », ajoute Boumsong.

LIBERTÉ DE TON ET POLÉMIQUE

La liberté de ton est totale, mais dans le football la moindre petite phrase prend une ampleur hystérique. En novembre dernier, Pascal Praud avait fustigé des joueurs de l'équipe de France qui n'avaient « rien à foutre » du maillot bleu. Depuis, les Tricolores se sont qualifiés pour le Mondial et Praud a été copieusement insulté sur les réseaux sociaux. « C'était un coup de colère, sourit l'animateur télé. Ce n'est pas grave. » Son patron, lui, se félicite du « buzz» et du débat que ce coup de sang a suscité. « Et après, c'est de la télé », répond Olivier le Foll.

La polémique : RMC en a fait une de ses spécialités. La radio revendique son côté populaire, et ses consultants, à l'image de Rolland Courbis, n'hésitent pas à descendre des joueurs. « L'idée n'est pas de faire du café du commerce pour en faire, mais de recréer une discussion entre amis et ça me va », explique François Pesenti, directeur des sports. Et en cas de dérapage, le joueur a intérêt à venir s'expliquer sur l'antenne.

Pierre Ménès.

En octobre dernier, le joueur Patrice Evra avait réglé ses comptes sur TF1, en s'en prenant violemment aux consultants de RMC ainsi qu'à l'un des plus influents, Pierre Ménès, de Canal+. «Il m'a rendu service, ironise ce dernier. Comme la France ne peut pas le blairer, les gens qui ne m'aimaient pas ont fini par me trouver sympathique. » Ménès, ancien journaliste à L'Equipe, est considéré comme à part dans le milieu.

« Je suis, en effet, le seul consultant à ne pas avoir eu une carrière professionnelle, ce qui m'est amèrement reproché », explique-t-il. Ménès, c'est de l'analyse et de l'impertinence non stop. « Je suis craint aujourd'hui. Mais je n'en tire aucune satisfaction personnelle. Je parle comme je le ressens mais je n'ai jamais attaqué l'homme », constate celui pour qui l'essentiel est d'avoir quelque chose à raconter : « Certains n'ont rien à dire, ce sont des pots de fleurs qui masquent le vide. »

Mais au bout du compte, cette recrudescence de consultants risque-t-elle de créer un effet d'overdose ? Pour Pape Diouf, ancien président de l'OM, cela ne fait aucun doute: « Le consultant devrait être l'exception. Le journaliste est dépossédé de sa fonction d'analyse et sert la soupe. Les consultants n'apprennent rien. » La fonction attire pourtant de plus en plus d'anciens footballeurs. A tel point que certains dénoncent une dérive. « Je suis très sollicité. C'est un peu inquiétant de voir que le métier de consultant est devenu un élément de reconversion », confie Pesenti. Boumsong, quant à lui, parle d'une concurrence exacerbée: « 90 % au moins des joueurs veulent devenir consultants, et il y a peu de places. Certains journalistes les voient parfois comme des gens qui veulent prendre leur place et n'apprécient guère de nous avoir à côté d'eux. »

Tableau des retransmissions TV de la Coupe du monde 2014 au Brésil.

Pour les huitièmes (du 28 juin au 1er juillet) et les quarts de finale (les 4 et 5 juillet), TF1 se réserve la diffusion des meilleures affiches : 5 matchs des huitièmes de finale et 3 matchs des quarts de finale.

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