Véronique Corazza peine à détacher les yeux de ses fiches. Le moment est solennel, le public attentif et les médias nombreux. Le visage grave, elle ouvre la table ronde « Etre toujours Charlie en Seine-Saint-Denis », devant un parterre de personnalités réunies aux Folies-Bergère à Paris. Principale d’un collège à Saint-Denis, elle raconte qu’« être Charlie, c’est aussi agir au quotidien contre l’intrusion dans [son] collège d’idéologie et d’agissements antirépublicains ».
Le premier exemple qu’elle donne est celui des étudiants de Paris-VIII qui postulent pour devenir assistants d’éducation. Lors des entretiens d’embauche, elle est « très vigilante » : elle ne voudrait pas qu’ils introduisent dans son collège des « pratiques antirépublicaines » comme ces « réunions non mixtes racisées qu’ils organisent dans leur université ». La scène date de janvier.
Un « territoire perdu de la République » ?
Parmi les derniers échos de la faculté et de ses tumultueux étudiants ? Le 21 mars, Le Figaro titre « Le racisme antiblanc s’affiche à Paris-8 » où des murs ont été recouverts de tags scandaleux. Echantillon : « Français = PD », « Femmes, voilez-vous ! », « AntiFrance vaincra », « Mort aux Blancs », « Beau comme une voiture de police qui brûle », « Califat autogéré. Internationale islamo-situationniste ».
Certes, l’université est rarement immaculée mais, cette fois-ci, la virulence des tags interloque. L’affaire est prise au sérieux. La présidence porte plainte à l’encontre des auteurs non identifiés de tags antisémites et la Licra publie un communiqué à la conclusion ferme : Paris-VIII « ne doit pas être le prochain territoire perdu de la République ! »
Plus de 22 000 étudiants pour 71 435 mètres carrés tout au bout de la ligne 13, à une dizaine de stations du centre de Paris. Le voici donc ce « territoire perdu de la République ». Plantés dans un paysage chagrin, les bâtiments sont entourés de barres d’immeubles, de grands axes routiers et de l’immense cube de verre des Archives nationales. L’entrée principale étant bloquée ce jour-là – nombre d’étudiants et enseignants sont mobilisés « contre la sélection à l’université » prévue dans la loi orientation et réussite – un autre accès a été aménagé.
On y pénètre sans difficulté. Sur un grand panneau qui accueille les visiteurs, vestige d’une exposition sur l’histoire du lieu, des photos en noir et blanc d’une manifestation étudiante de 1979 et ces lettres noires qui se détachent : « Les bergers de Vincennes ». Un rappel et une fierté : Paris-VIII n’est pas une université comme les autres. Elle a d’abord été un centre expérimental, né dans la foulée de Mai-68, dans le bois de Vincennes, et complètement rasé en 1980 à la demande de l’Etat avant d’être déménagé dans la foulée dans ses locaux actuels. Elle porte aujourd’hui encore le nom d’université Vincennes-Saint-Denis.
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