L’écrivain israélien Aharon Appelfeld est mort d’un arrêt du cœur à Petah Tikva, en Israël, dans la nuit du mercredi 3 au jeudi 4 janvier, à l’âge de 85 ans. Avec cet homme modeste en dépit de sa renommée mondiale – lauréat du prix d’Israël en 1983 et du Médicis étranger en 2004, on lui doit plus d’une quarantaine de livres traduits en 35 langues – disparaît, après Primo Levi ou Elie Wiesel, l’un des derniers survivants à avoir fait passer dans l’écriture l’expérience restée pour beaucoup incommunicable du génocide. Lui-même n’en récusait pas moins l’étiquette d’« écrivain de la Shoah » parce qu’elle était loin d’épuiser, pensait-il, les sources poétiques, religieuses et surtout musicales qui ont alimenté son œuvre.
Il opposait la « mémoire » et l’« acte de se souvenir », la réminiscence dynamique, vivante, palpable, à laquelle il adhérait
Ce qui lui importait était d’arracher la littérature à la gangue de la sociologie, de l’histoire et de la politique où se perdent les destins et les tragédies des individus. Ecrire contre l’histoire se confondait avec un acte de rébellion contre l’effacement provoqué par l’oppression et l’extermination. Sa méfiance vis-à-vis des pensées toutes faites, de la politique et des « paroles gelées » s’exprimait aussi par sa réticence à s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien ou sur la politique en général, contrairement à bon nombre de ses collègues. Il était lui-même, et par son milieu, pourtant libéral et comptait même quelques oncles communistes évoqués dans L’Amour, soudain (L’Olivier, 2004).
Il n’entendait pas non plus renforcer la mémoire officielle de la Shoah. Dans un dialogue avec le journaliste israélien Dan Margalit, que l’on peut trouver sur le site du quotidien Haaretz, il opposait, il y a deux ans, la « mémoire » (zikaron) – objet pour les spécialistes des sciences sociales ou pour les commémorations – et l’« acte de se souvenir » (hizakrout), la réminiscence dynamique, vivante, palpable, à laquelle il adhérait. Son amour du sensible s’étendait jusqu’au refus de posséder un ordinateur chez lui, tant le contact physique de la plume et du papier lui était précieux pour écrire.
Marqué par les souffrances du XXe siècle
L’écriture et la vie d’Aharon Appelfeld sont demeurées marquées par la souffrance et les ruptures cauchemardesques que le XXe siècle a imposées à tant de juifs d’Europe ; notamment ceux qui, comme les siens, résidaient dans les « terres de sang » qu’allaient devenir les confins orientaux du continent.
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