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Souvenirs dormants de Patrick Modiano. Entretien

Souvenirs dormants convoque des personnages parfois croisés dans vos livres précédents comme Madeleine Péraud ou Mireille Ourousov.
Des revenants, qui viennent ainsi compléter le puzzle, ou des doubles, des fantômes encore plus insaisissables ?
En effet, ces personnages, on les a croisés dans mes précédents livres… Peut-être parce qu’il s’agit d’un seul « roman » écrit de manière discontinue. Certains de ces personnages, on les voit de manière plus détaillée que dans les autres romans, mais il arrive que l’un d’eux n’ait plus le même prénom, ce qui prouve les incertitudes de la mémoire.

Vous écrivez : « J’étais sûr que, dans l’avenir, il suffirait d’inscrire sur un écran le nom d’une personne que vous aviez croisée autrefois et un point rouge indiquerait l’endroit de Paris où vous pourriez la retrouver. » Mais retrouver la trace avec certitude ne rendrait-elle pas impossible toute rêverie sur les « souvenirs dormants » du titre ?
C’est un peu ce qui se passe avec Internet, qui permet de retrouver rapidement la trace de quelqu’un. Et cela va à l’encontre de la démarche du romancier : une recherche interminable, et souvent vaine, et une rêverie. Mais heureusement, Internet ne peut répondre à toutes les questions. Ce qui laisse une marge de liberté à l’imagination et la rêverie du romancier.

Le thème de la fugue est très présent dans le texte. La fugue au sens de la fuite, et peut-être aussi la fugue au sens musical, où le thème « fuit » en permanence d’une voix à l’autre ?
Oui, ces deux thèmes qu’évoquent le mot fugue me sont proches. Ils peuvent être contradictoires : fuite, mais aussi retour, au sens musical. Je crois que, sans m’en rendre compte, mes romans successifs sont des répétitions, des redites, ou des refrains, comme en musique.

Autre thème important, celui de l’« éternel retour », à propos duquel le narrateur rêve de pouvoir revivre tout ce qu’il a déjà vécu, mais « le vivre beaucoup mieux, sans les erreurs… ». N’est-ce pas une définition possible de la littérature ?
Le terme « Éternel Retour » pourrait servir de définition à une démarche littéraire. Se retourner sur certains épisodes que vous avez vécus, au présent, dans le désordre, et leur donner, avec le recul du temps, une certaine ligne musicale.

Vous explorez une fois encore les « mystères de Paris », avec ici la dimension supplémentaire des lieux maléfiques où flottent « de mauvaises ondes ». Faut-il y voir l’influence des sciences occultes qui fascinent le narrateur, ou une réalité objective que tout un chacun peut ressentir au cours de ses déambulations parisiennes ?
Les « mystères de Paris » sont bien une réalité objective. Il suffirait, au cours de vos déambulations, de lire la ville comme un palimpseste, et de savoir quels sont les fantômes qui hantent chaque numéro de rue.

Les événements qui surviennent dans la vie du narrateur semblent placés sous le signe de la coïncidence et du hasard. Ne s’agirait-il pas d’autres noms du destin ?
Nous pouvons aussi rêver que nous avons des centaines de sosies, qui ont réalisé les multiples possibilités qu’offrait notre vie…

Vous publiez simultanément une pièce de théâtre, Nos débuts dans la vie, écrite en parallèle à Souvenirs dormants. Peut-on voir dans ces deux textes une forme de diptyque atypique ?
La publication simultanée de Souvenirs dormants et d’une pièce de théâtre n’est sans doute pas le fruit du hasard. Les mots « un début dans la vie » apparaissent dans une page de Souvenirs dormants, mais l’un des deux livres ne pouvait être écrit que sous une forme théâtrale, car c’est un texte sur le théâtre.

Entretien réalisé avec Patrick Modiano à l'occasion de la parution de Souvenirs dormants.

© Gallimard.