AU cours d'un mois de mai fertile en surprises, on vit avec stupeur le surréalisme descendre dans la rue, fleurir sur les murs. Cela parut d'autant plus étrange qu'on le croyait mort - certains disaient depuis la guerre, - si bien que les manuels scolaires n'hésitaient pas à le rouler dans son linceul et à en faire un mouvement littéraire dépassé.
Il suffit de regarder autour de soi pour mesurer le chemin parcouru depuis le manifeste de 1929. Le rêve, l'insolite, l'humour, l'irrespect, sont parmi nous. Bunuel fait des films sans provoquer d'émeute. Au moment où Aragon raconte comment Breton et lui découvrirent un inconnu nommé Lautréamont, " Maldoror " fait son apparition dans la collection Garnier-Flammarion. Que les forces intellectuellement libératrices, ce " plus de conscience " que nous renvoient tous les échos, naissent au sein de l'aliénation la plus totale, dans une société dévorée par l'objet, n'est pas en soi très rassurant. Il faudrait être bien optimiste pour croire à une victoire rapide de l'esprit, bien inconscient pour estimer la société de consommation incapable de remettre le surréalisme à sa place, entre deux autres mots enisme. Trop de gens ont intérêt à nous faire prendre les magiciens de " Planète " pour des lanternes.
Que le groupe surréaliste ait choisi pour se dissoudre - comme l'explique Jean Schuster dans l'article - manifeste qu'on trouvera ci-dessous - ce moment où se joue l'avenir de l'imagination peut paraître paradoxal. Je vois personnellement dans cette " occultation " la seule réponse possible aux risques de galvaudage, le seul moyen de faire que les conquêtes incontestables mais fragiles du surréalisme ne soient pas sans lendemain. Cet acte de lucidité et de courage nous permet aussi de ne pas céder au vertige anti-culturel. Ce n'est pas parce que M. Malraux classe le Palais idéal monument historique que le facteur Cheval cesse d'être un génie scandaleux. Il est légitime et utile de faire le bilan du " surréalisme historique ".
Au moment même où les surréalistes décident de mettre leurs activités en veilleuse, on voit se multiplier rééditions et éludes. La décade de Cerisy-la-Salle animée par Ferdinand Alquié, les numéros spéciaux d'" Europe ", de la " N.R.F. ", de l' " Arc ", l'annonce de livres importants comme celui que prépare Marguerite Bonnet sur André Breton, la mise en route d'une édition complète de Péret, ne sont pas le signe que le surréalisme entre au musée. Ils font naître l'espoir qu'il a enfin acquis son plein pouvoir d'incitation, et qu'il va nous aider à mieux comprendre notre présent, en éclairant notre passé.