Afrique : histoire, economie, politique

1998-2001
Benin, analyse du pays de 1982 a 1987
ANALYSE DU PAYS DE 1982 A 1997 :
 

Le Bénin (ex-Dahomey, 3,6 millions d'habitants) a connu de nombreux coups d'État depuis son indépendance en 1960. Ils traduisaient notamment l'importance des rivalités "régionales", en fait ethniques. En 1974, un groupe d'officiers marxistes dirigés par le colonel Kerekou a mis un terme à cette instabilité en prenant le pouvoir. La République populaire du Bénin est proclamée en 1975: ses dirigeants, qui se revendiquent du "marxisme-léninisme", font cependant preuve d'un grand pragmatisme, ne serait-ce qu'en raison des rapports commerciaux qu'ils entendent maintenir avec le Nigéria, le grand voisin, pour profiter des miettes du pactole pétrolier. Une partie des navires ne pouvant entrer dans le port nigérian de Lagos, complètement saturé, débarquent ainsi leurs marchandises dans le port béninois de Cotonou. En janvier 1983, le Bénin a été le premier État à subir le choc de la vague des expulsés du Nigeria.

Le Bénin (ex-Dahomey, 3,7 millions d'habitants), appelé durant les années soixante "l'enfant malade de l'Afrique" à cause des nombreux coups d'État qui le fragilisaient, a pu trouver une certaine stabilité politique depuis 1972 avec le régime du colonel Mathieu Kerekou (aujourd'hui général), qui se réclame du "marxisme-léninisme". Le pays a été toutefois fortement touché par la crise économique et la sécheresse, ce qui a conduit ses dirigeants à déclarer en janvier 1984 le Bénin "pays sinistré" et à solliciter avec insistance l'aide internationale. Une cimenterie à Onigbolo et une sucrerie à Savé, réalisés conjointement avec le Nigeria, se sont révélées peu rentables et on accumulé les difficultés de trésorerie en 1984 tandis que de nombreuses sociétés d'État mal gérées ont dû être restructurées. Un petit espoir: la production du gisement pétrolier offshore de Seme qui a permis au Bénin d'être en 1983 le seul pays à rajouter son nom à la liste des pays exportateurs de pétrole. Ce gisement devrait produire entre 250 et 350 000 tonnes par an.

Le Bénin (ex-Dahomey, 3,8 millions d'habitants) a continué de bénéficier en 1984 de la stabilité politique apportée par le régime du président Mathieu Kerekou. Celui-ci, au pouvoir depuis 1972, a été nommé général en 1984. Mais sur le plan économique, le marasme persiste dans ce petit pays qui a vécu en grande partie de ses échanges commerciaux avec son grand voisin du nord, le Nigéria. La fermeture par celui-ci, le 31 décembre 1983, de la frontière bénino-nigériane a été fortement ressentie par la population frontalière et la communauté commerçante de Porto Novo. Les recettes douanières et portuaires ont chuté de plus de 30%. Mais cette fermeture n'a pas fait que des malheureux: elle a permis d'écouler sur le marché local une importante quantité de maïs, de gari et de tomates auparavant drainée vers le Nigeria. Pour la première fois depuis quatre ans et demi, les prix de ces produits ont baissé, début 1985, à la grande satisfaction des travailleurs de la ville.

La dette extérieure du Bénin est comparativement moins importante que celle du Togo (586 millions de dollars à la fin de 1983, soit environ 60% du PNB). Mais la chute des recettes fiscales ainsi que la mauvaise gestion des sociétés d'État ont causé au gouvernement de grandes difficultés de trésorerie en 1985. A partir d'août 1984, les salaires des fonctionnaires ont été payés avec un retard considérable en ayant recours aux expédients.

Le rééchelonnement de la dette extérieure a fait l'objet de discussions mais ne s'est point encore matérialisé, le gouvernement éprouvant quelque réticence à appliquer les recettes brutales du Fonds monétaire international (FMI). Le budget de fonctionnement de l'exercice 1985 a été voté à la baisse, pour la deuxième année consécutive (à un milliard de francs français, soit -9,2%), tandis que le budget d'investissement a été réduit de 15,6%.

Une active campagne de promotion pétrolière a été lancée, au début de l'année 1985, en vue de l'attribution de nouveaux permis de recherche, tandis qu'un financement additionnel en provenance de la Banque européenne d'investissement et de la Banque mondiale devait permettre d'agrandir les installations de production du gisement offshore de Seme dont la production annuelle est estimée à 450 000 tonnes. La réorganisation des sociétés d'État est restée à la traîne, faute de mesures énergiques.

Sur le plan social, l'État ne peut offrir d'emplois aux étudiants en fin de cycle: au début de 1985, plus de mille étudiants étaient inscrits au chômage et leur nombre ne fera que croître dans les années à venir. Pour dégeler la tension politique, le gouvernement a fait libérer, en juillet 1984, des étudiants et enseignants soupçonnés de sympathie pour le Parti communiste dahoméen (opposition).

Dans le domaine culturel, l'année 1984 a été marquée par le succès de la troupe théâtrale Towakonou qui interprètre des pièces en langue goun. Malgré le décès de son fondateur, Dehovmon Adjagnon, en février 1985, les activités de la troupe ont pu être poursuivies.

Au Bénin (ex-Dahomey), le général Mathieu Kérékou a fêté, le 26 octobre 1985, son treizième anniversaire à la tête du pays. C'est un record dans ce pays connu auparavant pour la fréquence de ses coups d'État.

Cependant, le bilan économique est loin d'être brillant. Le budget de l'État repose essentiellement sur des revenus douaniers et fiscaux qui ont fortement chuté depuis la fermeture de la frontière bénino-nigériane, le 31 décembre 1983. Depuis, le versement des salaires de la fonction publique est devenu un casse-tête mensuel. La crise est allée en s'aggravant, exigeant des mesures énergétiques que le gouvernement hésite à adopter. Refusant de suivre à la lettre les conseils du Fonds monétaire international (FMI), il n'a en fait pris aucune mesure. Les sociétés d'État, lourdement déficitaires, n'ont pas été restructurées. La Banque commerciale du Bénin, seule banque commerciale du pays, s'est trouvée déséquilibrée. Il a été question d'autoriser la Banque internationale de l'Afrique de l'Ouest (BIAO) à ouvrir des guichets mais le dossier est resté dans les tiroirs.

Début 1986, les négociations globales pour le rééchelonnement des dettes extérieures n'avaient toujours pas eu lieu. Un projet de prêt de l'Association internationale de développement (AID, Banque mondiale) - en vue d'une restructuration et d'un ajustement sectoriel -, à l'étude depuis 1983, n'avait pas encore fait l'objet d'une décision. L'agriculture est restée le seul secteur économique stable du pays, centré autour des produits traditionnels: coton, arachides, noix de palme, café, maïs, ignames.

La production pétrolière, mise en route en 1982, a contribué cependant à l'augmentation du PIB, évaluée à 15,6% en 1982, à 4,6% en 1983 et à 8,2% en 1984. Le gisement pétrolifère de Sémé produit environ 400 000 tonnes par an. Les autorités de Cotonou, insatisfaites de l'accord d'exploitation passé avec une société norvégienne, la Saga Petroleum Benin, ont décidé de rompre et de prendre attache avec la Panoco (Pan Ocean Oil Company), société américaine basée en Suisse et dirigée par un Italien, Vittorio Fabri, de réputation douteuse.

La situation économique préoccupante du pays a entraîné, en mai 1985, une forte agitation en milieu scolaire et estudiantin: grèves de plusieurs semaines, manifestations de rue. Le gouvernement a réagi brutalement par la fermeture des établissements scolaires, le renvoi du ministre de l'Éducation nationale, Michel Alladaye, et l'arrestation de nombreux cadres et étudiants, transférés dans une prison spécialement construite à Sègbana, dans le nord du pays. Amnesty International, dans un communiqué publié en décembre 1985, a exprimé son inquiétude au sujet de l'arrestation d'une centaine de personnes. Le nombre a augmenté depuis. Le gouvernement soupçonne les opposants d'appartenir au Parti communiste dahoméen, qu'il voudrait démanteler. Pour ce pays au moeurs affables, est-ce le début d'un engrenage fâcheux?

Le Bénin vit depuis plusieurs années dans un état de crise économique aggravé par les atermoiements du gouvernement du général Mathieu Kérékou, au pouvoir depuis le 26 octobre 1972. La valse-hésitation avec le FMI s'est poursuivie en 1987. L'accord qui devait intervenir au début de l'année a été repoussé au second semestre. Avec une dette extérieure de 800 millions de dollars et un service théorique de la dette de 30 milliards de francs CFA, le Bénin doit aussi faire face à un déficit chronique de sa balance commerciale (40 milliards de francs CFA en 1985).

La répartition de la population active béninoise est, pour le moins, singulière en Afrique. Le secteur tertiaire (petits commerçants et fonctionnaires) est hypertrophié: 43% contre 13% pour le secteur industriel et 44% pour le secteur agricole. Ce dernier a contribué en 1985 pour 46,8% au PNB (en termes courants). La production de coton, relancée depuis 1983, a atteint le chiffre record de 107 000 tonnes en 1986, mais les cours mondiaux ont chuté. Le budget 1987, d'une hauteur de 47,83 milliards de francs CFA, est utilisé à 80% pour le paiement des fonctionnaires, dont le nombre dépasse 40 000.

Un remaniement ministériel, attendu depuis novembre 1985, n'a finalement eu lieu que le 13 février 1987 avec l'entrée dans le gouvernement de quatre ministres civils, dont Barnabé Bidouzo (Finances et Économie) et Ibrahim Souradjou (Plan), le premier anti-FMI, le second pro-FMI. Deux fers au feu, toujours l'hésitation... Un crédit de 15 millions de dollars (accordé par la Banque mondiale et la Suisse) doit financer un projet de redressement du secteur des entreprises publiques.

Malgré la forte répression qui s'était abattue sur le milieu estudiantin après les grèves de mai 1985, l'agitation a repris en décembre 1986. Elle a culminé avec une grève du 16 au 21 mars 1987, à cause du non-paiement des bourses. Signe de l'équilibre qu'il affectionne, au cours du quatrième trimestre 1986 le président Kérékou a effectué une longue tournée dans les pays de la CEE puis une autre dans des pays de l'Est.

Les trois banques du pays ont toutes été déficitaires en 1987. Selon Barnabé Bidouzo, ministre des Finances et de l'Économie, elles devaient 40 milliards de francs CFA à la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). La banqueroute n'est donc pas loin, à moins que le FMI n'impose ses médications réputées drastiques et déstabilisantes. D'où la valse-hésitation du chef de l'État, le général Mathieu Kérékou, qui dure depuis 1986... Elle ne saurait durer éternellement.

En fait, l'économie du pays n'est que dettes. Les banques doivent à la BCEAO. Mais les entreprises d'État doivent aux banques (plus de 33 milliards de francs CFA dus à la seule Banque commerciale du Bénin, BCB). Le secteur privé doit aux banques (18 milliards). L'État doit au secteur privé (plusieurs dizaines de milliards). Le secteur privé, en retour, doit à l'État (9 milliards d'impôts). Et, last but not least, les entreprises publiques doivent 51 milliards de francs CFA à l'État. Mais le plus étonnant dans cette affaire, c'est que dans le même temps, le secteur privé béninois détient en compte, dans les banques du Togo voisin, 40 milliards de francs CFA, soit l'équivalent du budget annuel de l'État. Serait-ce un pillage en règle?

La situation économique n'a jamais été aussi catastrophique: le commerce extérieur est paralysé, les salaires des fonctionnaires sont payés avec deux ou trois mois de retard, les usagers des Postes ne peuvent guère toucher leurs mandats, ni retirer de l'argent sur leurs comptes-chèques postaux. Des rumeurs de tentative de coup d'État ont circulé. Dans les jours qui ont suivi le 26 mars 1988, une douzaine de lieutenants et de capitaines ont été arrêtés, accusés de complot. Et ce, dans la plus grande discrétion. Les étudiants menacent régulièrement de faire grève pour bourses impayées. La situation de l'emploi s'est détériorée à un point tel que le ministre de l'Enseignement a fait distribuer aux étudiants des circulaires expliquant qu'il n'était pas question de les recruter dans la fonction publique à la fin de leurs études.

Cette toile de fond dramatique n'a pas empêché la naissance de deux nouvelles revues progouvernementales: Bénin Magazine, au début 1987 (mensuel), et La Gazette du Golfe, en mars 1988 (bimensuel).

Incurie, gabegie, mauvaise gestion: ce petit pays aux maigres ressources souffre d'un mal chronique. Après seize ans de pouvoir "marxiste", le général Mathieu Kérékou affirme aujourd'hui vouloir "mettre le marxisme dans la poche", c'est-à-dire en veilleuse. La situation économique désastreuse l'a obligé à dire oui aux diktats du FMI: annonce d'un impôt spécial de 10% sur les salaires de base, réduction de 50% des indemnités et accessoires de solde, départs forcés à la retraite, gel des embauches. Malgré cela, les salaires des quelques 55 000 fonctionnaires sont payés avec quatre à cinq mois de retard, et par à-coups. Le petit peuple a fini par trouver le mot de la situation: "Les fonctionnaires béninois sont malades du SIDA", entendez: "Salaires Insuffisants et Difficilement Acquis".

Pour comble de malheur, la Banque commerciale du Bénin, banque d'État, minée par des pratiques hétérodoxes et frauduleuses, ne dispose plus d'aucunes liquidités. Quand les salaires sont virés, elle n'arrive pas à les payer.

Dans une telle atmosphère, les tentatives de coup d'État vont bon train: trois déjoués en 1988.

Le 9 janvier 1989, étudiants, enseignants et fonctionnaires se sont mis en grève pour le paiement des arriérés de salaires et de bourses.

Pour détourner le mécontentement et se donner une façade démocratique, le pouvoir a autorisé la parution de plusieurs journaux privés: La Gazette du Golfe, Tam-Tam Express, Écho d'Afrique, Le Quotidien. Ceux-ci ont voulu, un instant, dénoncer le scandale bancaire, mais ils ont été vite ramenés "à raison" par le chef de l'État qui a exigé la pratique de l'autocensure, sous peine d'interdiction. La campagne de presse n'a eu qu'un seul effet: l'arrestation de Barnabé Bidouzo, ancien ministre corrompu. Le 4 avril 1989, la visite d'une délégation d'Amnesty International a entraîné la libération d'une trentaine de prisonniers politiques, sympathisants ou militants du PCD (Parti communiste dahoméen) arrêtés en 1985.

Le budget 1989 a été arrêté à 90 milliards de francs CFA. Reste à trouver les fonds. Tout le monde au Bénin attend la manne du FMI. Elle risque de n'être que d'un piètre secours.

Au Bénin, où le marxisme-léninisme qui régnait depuis 1974 avait été, selon une expression du général Mathieu Kérékou, "mis dans la poche", c'est-à-dire en veilleuse, en 1990 il a été carrément jeté aux orties. Du 19 au 28 février 1990, près de 500 représentants de toutes les couches sociales et de toutes sensibilités, réunis pour une conférence dite des "forces vives de la nation", se sont mis d'accord pour démettre l'ancien gouvernement "révolutionnaire", dissoudre l'Assemblée nationale et élire un nouveau Premier ministre, Nicéphore Soglo, ancien administrateur de la Banque mondiale. Le général Kérékou, resté président de la République et chef de l'État, n'est en revanche pas demeuré chef de gouvernement ni chef de l'armée. En d'autres termes, il ne dispose plus d'un pouvoir réel.

La nouvelle équipe doit, dans un délai d'un an, faire voter une Constitution garantissant les libertés d'association, d'opinion et de presse ainsi qu'une réelle séparation des pouvoirs. Elle doit aussi organiser, sur la base de cette Constitution nouvelle, des élections libres et démocratiques, et faire passer dans les faits un discours généreux de lutte contre la torture et la violation des droits de l'homme. Tous les détenus politiques ont été libérés, les exilés sont rentrés au Bénin et la langue de bois a disparu des journaux et de la télévision. Le 26 mars 1990, les écoles ont rouvert après plus d'un an de fermeture et les fonctionnaires en grève ont repris le travail. Il ne leur restait plus qu'à avaler de plein gré la pilule de l'ajustement structurel.

Autre institution sortie de la conférence nationale, le Haut conseil de la République, sorte d'assemblée constituante et législative provisoire. Il est présidé par Mgr Isidore de Souza, évêque coadjuteur de Cotonou, et comprend, outre d'anciens présidents de la République tel Émile Derlin Zinsou, des représentants syndicaux, Timothée Adanlin et Léopold Dossou, ainsi que des représentants d'associations locales de développement.

Une seule ombre au tableau: le Parti communiste du Dahomey (PCD), actif dans l'opposition au régime du général Kérékou, n'a pas participé à la conférence nationale. Mais il semble fortement implanté dans le centre et le sud-ouest du pays. Un test important pour la démocratie naissante au Bénin: le PCD sera-t-il intégré dans le nouveau jeu démocratique?

Le 4 avril 1991, le général Mathieu Kérékou - porté à la tête de l'État le 26 octobre 1972 par un putsch, et qui, en 1974, avait opté pour un régime marxiste-léniniste - se soumettait au verdict des urnes et cédait la place à Nicéphore Soglo. Le soulagement fut général. Pour une fois, le dérapage dans l'alternance sanglante n'avait pas eu lieu. Les choses avaient débuté à la Conférence nationale des forces vives de la nation, du 19 au 28 février 1990, qui avait décidé de mettre fin au parti unique et de mettre en place de nouvelles institutions crédibles et respectueuses des droits de l'homme.

Le calendrier fixé fut respecté pour l'essentiel. Il débuta par la légalisation des partis politiques: 35 au total. Seul le Parti communiste de Dahomey (PCD) refusa de se soumettre à la procédure d'enregistrement. La liberté de la presse fut ensuite assurée. Les lois d'exception relatives à l'internement administratif furent aussi abrogées. Des élections locales permirent, les 10 et 11 novembre 1990, de désigner maires de communes et responsables de villages et de quartiers. La constitution nouvelle fut approuvée par référendum le 2 décembre 1990 (93,2% de "oui"); elle a institué un régime présidentiel.

Le 17 mars 1991, furent organisées les élections législatives. La victoire revint à une coalition de quatre partis soutenant Nicéphore Soglo. Notre cause commune (NCC) d'Albert Tévoedjrè et le Parti social-démocrate d'Amoussou Bruno réalisèrent des scores honorables. Enfin, les élections présidentielles des 10 et 24 mars 1991 conduisirent, au deuxième tour, à l'élection de Nicéphore Soglo (67,6% des voix) face au général Kérékou. Une ombre au tableau: les échauffourées interethniques du 24 mars 1991, à Parakou et Natitingou, suscitées par des partisans exaltés du général Kérékou.

L'une des personnalités les plus marquantes du "renouveau démocratique" - nom donné à ce processus qui exerce une forte attraction sur certains pays africains - aura été Mgr Isidore De Souza, archevêque de Cotonou et président de la Conférence nationale des forces vives, qui réussit à calmer les passions. C'est notamment sur son insistance qu'une amnistie fut accordée au général M. Kérékou afin de garantir la paix sociale, surtout dans le Nord du pays où les populations, restées fidèles à l'ancien président, originaire de cette région, lui avaient accordé à 95% leurs suffrages.

Au plan économique, dans un pays où la faillite du système bancaire était totale, la coopération avec la communauté financière internationale a été relancée par le processus de démocratisation qui a également permis la reprise de l'activité des agents de l'État en grève larvée depuis 1989-1990.

Naguère présenté comme le parangon de la démocratisation en Afrique, le Bénin n'était plus guère un "modèle" un an seulement après l'élection à la présidence de Nicéphore Soglo, le 24 mars 1991. "L'homme de la situation", selon le slogan de sa campagne électorale, était désormais accusé d'incurie et, surtout, de népotisme. "Moralisons la vie publique! Il ne suffit pas de le dire et de le répéter. Il faut passer aux actes", l'ont interpellé en mars 1992, dans une lettre pastorale intitulée "Exigences de la démocratie", les évêques du pays. L'un d'eux, Mgr Isidore de Souza, qui avait présidé la "conférence nationale" à l'origine du "renouveau démocratique", a même estimé que la corruption était devenue "pire" que sous l'ancien régime de Mathieu Kérékou.

Le Bénin est pourtant l'un des rares pays à avoir réellement perçu une "prime à la démocratie". Les États-Unis ont annulé la totalité de leurs créances, le "Club de Paris" a allégé de 50% la dette publique du pays, la France et l'Allemagne, après deux visites conjointes de leurs ministres de la Coopération en l'espace de six mois, ont multiplié prêts, dons et "rallonges spéciales", au point de subventionner la démocratie, en 1991, à hauteur s'approchant de 1000 FF par habitant. Sans commune mesure avec l'assistance fournie à d'autres pays africains, ces subsides n'ont permis qu'un taux de croissance de 2%, pour un accroissement démographique de 3%.

En même temps, les nouvelles institutions de la République se sont grippées, l'Assemblée nationale, où 21 formations politiques se partageaient 64 sièges, étant entrée en "guérilla parlementaire" contre la Présidence. Restent les libertés publiques retrouvées, après dix-huit années de dictature militaro-marxiste. Réelles, elles ne s'exercent ni sans limites ni sans menaces: dans les médias d'État, des "réaffectations" sanctionnent des journalistes outrecuidants, alors que l'ancien ministère de la Propagande a fêté sa résurgence sous forme de "Direction des relations publiques et de la promotion de l'action du gouvernement"...

Célébrant à leur façon le troisième anniversaire de la conférence nationale qui a consommé la disparition du régime marxiste-léniniste, 22 partis d'opposition ont créé, en février 1993, la Convention nationale des forces du changement dont l'un des animateurs, Albert Tévoedjré, a lancé "un appel à tous les démocrates du monde pour mettre la démocratie béninoise en observation et démontrer qu'elle ne fonctionne pas normalement".

A la tête de ce pays, pourtant présenté comme un modèle de transition démocratique, le président Nicéphore Soglo, souvent critiqué pour son entourage et taxé de népotisme, a conforté ses positions après un début de mandat laborieux. A partir de juin 1992, il a disposé d'une majorité à l'Assemblée nationale, présidée par son adversaire Adrien Houngbédji: à cette date, 34 des 64 députés, issus de dix partis politiques, se sont regroupés sous la bannière Le Renouveau. L'armée béninoise a réduit, en août 1992, à Natitingou la mutinerie d'un groupe de militaires associé au capitaine Pascal Tawes, ancien de la garde présidentielle du général Mathieu Kérékou, qui a fui le pays. Mohamed Cissé, marabout omnipotent de l'ancien chef de l'État, a été condamné à dix ans de prison, au mois de septembre.

Présidant la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), N. Soglo a pris, vis-à-vis des situations prévalant au Libéria (guerre civile) et au Togo (répression), des initiatives prudentes, mais qui ont irrité le puissant voisin nigérian, très engagé au Libéria, et lui ont valu les foudres du dictateur togolais, Étienne Gnassingbé Eyadéma, lequel a dénoncé les réunions à Cotonou des dirigeants de l'opposition à son régime. Plus de 200 000 Togolais se sont réfugiés au Bénin à partir de février 1993.

La lune de miel du président Soglo avec les bailleurs de fonds (au premier rang desquels la France et l'Allemagne) s'est poursuivie (40% des recettes du budget 1993). Mais si la Banque mondiale a apprécié les premiers résultats du programme d'ajustement structurel, les grèves se sont multipliées à l'Université et dans certains secteurs frappés par les licenciements, faisant vite oublier le voyage du pape Jean-Paul II et le premier festival international des cultures vaudoues en février 1993.

En appelant au gouvernement, en septembre 1993, sept personnalités lui étant proches sans consulter le Parlement comme le prévoit la Constitution, le président Nicéphore Soglo, élu en mars 1991, a mécontenté une classe politique béninoise divisée et parfois versatile, lui reprochant son exercice solitaire et par trop familial du pouvoir. L'omniprésence dans les affaires publiques de son épouse - dont le parti Renaissance du Bénin n'a pas connu, en 1993, le succès attendu - et le rôle éminent de son beau-frère, secrétaire général de la Présidence et ministre d'État, dans la marche du pays, ont alimenté les critiques virulentes du dirigeant du mouvement Notre cause commune (NCC) Albert Tévoedjré, ancien candidat à la présidentielle de 1991, très actif, et ont renforcé les réserves du groupe parlementaire Démocratie et solidarité animé par le président de l'Assemblée nationale Adrien Houngbédji, opposant au chef de l'État.

Plus heureux dans le cadre de la sous-région, le président béninois a été reconduit pour un an, en août 1993, à la tête de la CEDEAO (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) où il a fait progresser la solution du conflit du Libéria. Il a pris ses distances dans la crise togolaise après avoir accueilli 200 000 réfugiés fuyant les exactions du régime voisin.

Pays de transit vers le Sahel mais aussi vers le voisin géant nigérian, le Bénin, "bon élève" du FMI depuis 1990 après dix-sept ans d'étatisation sous le régime "marxiste-léniniste" du général Mathieu Kérékou, a reçu en tant que "vitrine de la démocratisation" un traitement très privilégié des bailleurs de fonds. Malgré des signes encourageants (meilleures rentrées fiscales et douanières) et une forte hausse des exportations de coton, les déficits budgétaires (7% du PIB) et commercial ont pourtant été importants en 1993. La dévaluation du franc CFA, en janvier 1994, a déclenché une forte inflation (de l'ordre de 40%) et un regain de l'action syndicale des étudiants et de la Confédération générale des travailleurs béninois, dont plusieurs grèves ont paralysé le secteur public en mars 1994, qui fut aussi le mois des manoeuvres militaires franco-béninoises.

A partir d'août 1994, l'exercice du budget a réouvert les hostilités entre le chef de l'État Nicéphore Soglo, ancien haut responsable de la Banque mondiale, soucieux d'appliquer les conditions du FMI, et l'Assemblée nationale, dont la loi de finances amendée (plus dispendieuse) voulait satisfaire les revendications des salariés et étudiants, frappés par une inflation non maîtrisée (38,6%) au lendemain de la dévaluation du franc CFA, intervenue le 12 janvier 1994. Ne disposant, depuis la nouvelle alliance passée entre les partis représentés au Parlement (octobre 1993), que de l'appui d'un quart des députés, le président a voulu recourir à la procédure des ordonnances que la Cour constitutionnelle a annulées.

Cette cohabitation conflictuelle semblait devoir se poursuivre à l'issue des législatives du 28 mars 1995, qui ont été un succès pour l'opposition. Sa principale force, le Parti pour le renouveau démocratique (PRD) du libéral conservateur Adrien Houngbédji, a presque fait jeu égal avec le parti présidentiel Renaissance du Bénin (RB). Les nostalgiques du régime "marxiste-léniniste" du général Mathieu Kérékou (au pouvoir pendant dix-sept ans), implantés au nord, ont "soufflé" la troisième place au Parti social-démocrate (PSD) de Bruno Amoussou. Notre cause commune (NCC), la formation d'Albert Tévoedjré, candidat potentiel à la présidentielle de 1996, a subi un spectaculaire revers. B. Amoussou a toutefois été élu, en juin 1995, président de l'Assemblée nationale avec l'appui de la mouvance présidentielle.

Considéré dès 1990 comme le modèle de la démocratisation en Afrique et choyé à ce titre par les bailleurs de fonds, le Bénin, malgré le retour de la croissance (4,2%) et l'essor des recettes d'exportations lié à une remarquable récole de coton (près de 300 000 tonnes en 1994-1995), confortée par la tenue des cours, n'a pas tenu certains objectifs fixés par le FMI sans pour autant apaiser le mécontentement populaire. Son économie est restée tributaire d'une situation de pays de transit entre le Sahel et le grand voisin nigérian.

Ayant achevé en août 1994 son deuxième mandat à la tête de la CEDAO (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), N. Soglo devait accueillir, en décembre 1995, le sixième "sommet" de la Francophonie.

Le 6e sommet de la Francophonie, réuni du 2 au 4 décembre 1995 à Cotonou, est venu couronner le mandat de chef d'État de Nicéphore Soglo, mais ne lui a pas servi de tremplin à l'élection présidentielle des 3 et 18 mars 1996, malgré l'éclat de la rencontre (200 millions FF d'investissements, dont 115 de la France) et son succès diplomatique. Ce sommet a fait de la Francophonie un espace de solidarité politique.

A la tête du Bénin de 1972 à 1991, instigateur d'une dictature militaire aux accents marxistes qui avait conduit le pays à la faillite, le général Mathieu Kérékou (soixante-deux ans) dit "le caméléon", a devancé au second tour, avec 52,49 % des suffrages, son vainqueur de 1991, N. Soglo, alors symbole de la démocratisation en Afrique. Ces élections se sont tenues dans un climat tendu de forte mobilisation populaire (plus de 80 % de participation). Une gestion maladroitement autoritaire et par trop népotique du pouvoir, une "guérilla" permanente à propos des budgets et des relations avec le FMI (Fonds monétaire international) entre la Présidence et le Parlement - où l'opposition était majoritaire (48 sièges sur 82) - ont isolé le président sortant. Soutenu dès le premier tour par Albert Tévoedjré (14 % des voix en 1991), M. Kérékou a bénéficié au second tour des désistements du président en exercice du Parlement et dirigeant du Parti social-démocrate, Bruno Amoussou, et de l'ancien président de l'Assemblée nationale (1991-1995), le très libéral Adrien Houngbédji qu'il avait fait condamner à mort en 1975. Ce dernier a été remercié par l'octroi d'un poste de Premier ministre non prévu par la Constitution.

Pendant les cinq ans de réformes économiques - privatisations, nouvelle fiscalité - socialement douloureuses mais nécessaires pour sortir le pays d'une situation de banqueroute, M. Kérékou avait su se faire oublier, héritant en 1996 d'un pays où les salaires étaient payés, et où la confiance des bailleurs de fonds n'était pas entamée. La situation économique apparaissait donc "acceptable" malgré un fort déficit du budget 1996, susceptible d'être réduit par une filière coton en pleine expansion. Dès avril 1996, en tournée dans les quatre États voisins, M. Kérékou a notamment réchauffé les rapports entre le Bénin, pays de transit commercial, et son puissant voisin nigérian.

C'est un an après son retour au pouvoir (avril 1996) que le président Mathieu Kérékou - qui avait, de 1972 à 1991, imposé un "marxisme tropical" à son pays - a conçu de rassembler dans la Convention pour le Bénin du futur une coalition gouvernementale hétéroclite déchirée par des querelles intestines. Outre ses partisans, dont le ministre Albert Tévoedjré, qui l'avaient soutenu dès le premier tour de l'élection présidentielle de 1996, la Convention a regroupé le Parti du renouveau démocratique (PRD) du très libéral Adrien Houngbédji, Premier ministre et porte-parole du gouvernement, et le Front de lutte pour une alternative démocratique en Afrique (Adema) du social-démocrate Bruno Amoussou, président de l'Assemblée nationale. En février 1997, Rosine Soglo, épouse de l'ancien chef d'État Nicéphore Soglo, a repris la tête du Parti de la renaissance du Bénin (RB) qui a animé l'opposition parlementaire (27 des 82 sièges) d'une Assemblée renouvelable en 1999.

Même si le Bénin a connu, en 1996, une croissance de l'ordre de 5,5 % et bénéficié, malgré la lenteur du programme de privatisations, d'engagements renouvelés du FMI et d'une annulation de 67 % de sa dette publique, sa situation économique est restée fragile et le climat social incertain. L'augmentation de 5 % des salaires des fonctionnaires, en janvier 1997, n'a pas compensé les fortes hausses de prix des produits de base (maïs, riz, lait, sucre). Le déficit budgétaire s'est accru de 35 % en 1997 (303 millions de dollars de recettes pour 486 de dépenses) et la campagne 1996-1997 de coton (représentant les trois quarts des recettes d'exportations et le quart des recettes de l'État) a été décevante. La France, premier partenaire et bailleur de fonds du Bénin (plus de 300 millions FF par an), a accueilli le président Kérékou en octobre 1996. Commission mixte franco-béninoise en février 1997, manoeuvres militaires conjointes (France, Bénin, Togo et Burkina Faso) en mars ont marqué les bonnes relations de Paris avec ce pays qui se veut un point d'accès au Nigéria pour des investisseurs privés encore prudents.

Source :
L'etat du Monde 1981-1998

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