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Non, les vaccins contre le Covid-19 ne créent pas des variants comme l’affirme un ancien prix Nobel

Le professeur Montagnier affirme dans une vidéo diffusée sur plusieurs plateformes que la vaccination contre le coronavirus crée les variants du Covid-19.

© Capture d’écran Odyssee

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Par Johanne Montay et Grégoire Ryckmans

Le professeur Luc Montagnier affirme dans une vidéo que les variants du Covid-19 sont créés à cause de la vaccination. Une théorie qui est accueillie chaleureusement par des groupes anti-vaccins car elle confirmerait selon eux le danger de la vaccination. Pourtant, aucune publication scientifique ne permet de corroborer cette thèse. Les scientifiques qui s’intéressent de près aux mutations du coronavirus expliquent que la vaccination engendre une sélection de ces variants, mais en aucun cas ne les crée.

Les variants anglais, brésiliens, sud-africains ou encore indiens, du Covid-19 suscitent de nombreuses questions. Transmissibilité potentiellement accrue, plus grande virulence ou meilleure résistance à la vaccination font partie des éléments qui sont observés de près par les virologues.

Dans une interview de onze minutes diffusée sur différentes plateformes de vidéo en ligne comme Youtube ou Odyssee, reprise par de nombreux canaux anti-vaccins, le professeur Luc Montagnier, ancien Prix Nobel de Médecine affirme que les variants seraient créés à cause de la vaccination. La vidéo est estampillée "Hold-Up", du nom du documentaire Hold-Up dont la thèse soutient que le coronavirus est le fruit d’une "manipulation mondiale".


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À la question "D’où viennent les variants ?", le professeur français répond : "C’est très simple". Pour lui, "les variants viennent des vaccinations. Le virus a une capacité de changer très forte […]." "Le virus de Chine a un vaccin, c’est-à-dire des anticorps produits par un vaccin, et qu’est-ce qu’il va faire, le virus ou bien mourir ou trouver des solutions. Les nouveaux variants sont la production ou du moins la résultante des vaccinations".

Il évoque également la situation épidémiologique de l’Inde pour tenter d’appuyer sa théorie selon laquelle vaccination et mortalité auraient un lien : "Et donc, vous voyez toujours dans les pays, même pour l’Inde, maintenant, c’est pareil, la courbe des vaccinations et même la courbe des morts qui suit […]"

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La transmission crée les variants

Alors, a-t-il raison ? La vaccination joue-t-elle un rôle dans la sélection de nouveaux variants ? La vaccination est-elle en mesure de créer elle-même de nouvelles variations ?

Premier élément de base : lorsqu’un virus se transmet, il crée des copies de lui-même et mute. Lors de l’infection d’une cellule par le virus, celle-ci est alors détournée et agit comme une sorte de photocopieuse pour le virus. Le virus se réplique alors par copie mais il arrive qu’il fasse des erreurs, comme lorsqu’on recopie un texte manuellement. Une partie de ces erreurs sont sans effet sur ses caractéristiques, d’autres sont en sa défaveur, d’autres enfin, lui donnent un avantage. Ces erreurs donnent lieu à ce qu’on appelle des mutations, et de ces combinaisons de mutations naissent de nouveaux variants.


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Le professeur en immunologie Eric Muraille détaille le processus : "Le matériel génétique du SARS-CoV-2 est de l’ARN. Cet ARN est beaucoup moins stable que l’ADN et lors de la multiplication du virus des erreurs apparaissent spontanément. Si ces erreurs n’empêchent pas la multiplication du virus, elles persistent dans la population virale. Avec le temps, les erreurs s’accumulent dans le génome des virus, ce qui explique que les variants actuels présentent de plus en plus de différences par rapport au virus originel isolé en Chine", indique le chercheur FNRS en Faculté de Médecine à l’ULB.

Certaines de ces mutations, dans le cas du coronavirus, portent sur la protéine "S" de surface du virus (appelée "spike"). On peut alors assister à l’apparition d’un variant qui échappe plus facilement aux anticorps ou qui prend d’autres caractéristiques comme celles d’être plus contagieux et/ou plus virulent. Dans le cas d’une plus grande résistance aux vaccins, c’est la mutation spécifique E484K sur la protéine "S" qui est responsable. Cette mutation est présente sur les variants sud-africain et brésilien, mais pas sur le Britannique.

Lorsque le virus échappe aux anticorps, on appelle cela alors "l’échappement vaccinal" : l’agent infectieux échappe à la réponse immunitaire destinée à l’éliminer.

Par ailleurs, plus un virus se transmet, plus il mute. C’est donc une incidence élevée (qui mesure la circulation du virus) qui favorise l’apparition de variants présentant un échappement immunitaire (ou vaccinal cfr ci-dessus). Réduire la transmission restreint donc le terrain de jeu du virus. De ce point de vue, la vaccination, en limitant la transmission entre individus, limite l’apparition de nouveaux variants.

La vaccination crée une pression de sélection sur le virus

Les variants anglais, brésiliens, sud-africains, tout comme le dernier en date, le variant dit "indien", sont apparus successivement à partir de l’automne 2020, alors que jusque-là, aucune mutation significative n’avait été mise en évidence.

Certains, comme le professeur Montagnier estiment que c’est avec le début de la campagne de vaccination, à grande échelle que les variants ont émergé. Pour la généticienne Alexandra Henrion-Caude, c’est plus spécifiquement la vaccination à ARNm, la technologie développée par Pfizer et BioNTech, qui serait responsable de l’apparition de nouveaux variants.

Pourtant, le variant britannique a émergé au Royaume-Uni en septembre 2020, bien avant le lancement de la campagne de vaccination. Sophie Lucas, immunologiste et présidente de l’Institut de Duve à l’UCLouvain, resitue les faits sur une ligne du temps : "La première trace de la survenue du variant britannique date du mois de septembre en Angleterre, chez des personnes qui n’étaient pas encore vaccinées puisque tout le monde se souviendra quand même que les vaccins ont été déployés à partir du mois de décembre. D’aucuns trouvaient que c’était beaucoup trop rapide, mais la réalité, elle est là : les vaccins ont été déployés quand le variant était déjà là et déjà en train de se répandre dans la population anglaise. C’est pour moi un élément absolument évident qu’il n’y a pas de corrélation directe entre le déploiement des vaccins actuels et l’émergence des variants qui sont préoccupants actuellement".

Oui, mais et l’Inde, alors ? L’apparition du variant indien est récente ? "Justement, un variant y émerge parce que la population indienne n’est pas vaccinée", explique Sophie Lucas.

© Our World in Data

La vaccination ne crée pas les variants, mais elle ne permet pas pour autant d’empêcher leur apparition. Les vaccins ont un effet à double sens : ils limitent la transmission et donc l’apparition de mutations, mais en même temps, ils exercent une pression de sélection sur le virus, laissant la place à l’apparition et la reproduction des variants les plus aptes à se perpétuer. Ces deux forces contraires (limitation de la transmission et pressions sur la sélection) doivent être prises en considération.

Variants contre vaccins : qui va l’emporter ?

Pour Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral à la lutte contre le Covid-19, "la dynamique est telle que le développement sauvage du virus sans contrainte vaccinale ou autre, comme il l’est dans certaines parties du monde, permet au virus de muter de façon erratique. Il se répand, et si le virus mute en présentant un avantage, d’autres mutations vont continuer à se produire, de plus en plus de mutants potentiels".

La solution pour prévenir l’apparition de variants est donc d’en limiter la propagation, notamment via les vaccins : "On va restreindre très fortement cela par la vaccination en empêchant ces mutations erratiques. Mais on va arriver un moment à une situation où le 'petit génie', le dernier à tout d’un coup faire sa mutation, peut faire naître des 'super Rambos' qui échappent à l’immunité et risquent de relancer la machine. C’est peu de chose cependant par rapport à l’immense poids qu’est l’impact de la vaccination".

Dans cette bataille "au finish", qui va donc l’emporter ? Sophie Lucas, immunologiste et présidente de l’Institut de Duve à l’UCLouvain, estime qu’on pourrait voir émerger des variants qui résistent à l’immunité préalable, que cette immunité ait été construite sur base d’une infection naturelle par des virus préalables ou sur base de la vaccination. "Dans l’avenir, on ne sait pas si on ne va pas voir apparaître des variants qui résisteront à l’immunité induite par la vaccination ou l’infection naturelle, mais c’est précisément pour cela qu’il faut éviter de laisser ce virus se multiplier et se transmettre sans contrôle", recommande-t-elle.

Un tout petit monde, ultra-connecté

À l’heure actuelle, ce sont les pays où le virus circule abondamment qui préoccupent ceux qui s’intéressent aux mutations du virus. Et notamment le Brésil, un pays où la situation épidémiologique est critique depuis plusieurs mois et où la campagne de vaccination patine. Dans ce contexte, 92 variants du coronavirus ont déjà été recensés sur le territoire brésilien. Un recensement qui fait dire à certains médecins sur place que le Brésil est "devenu une usine à variants du Covid-19".

Cette situation est l’un des éléments qui implique que l’enjeu principal du moment est de faire en sorte que certains pays ne prennent pas trop de retard dans la vaccination, de risque de voir des situations similaires à celle du Brésil émerger ailleurs.


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Pour les spécialistes, il faut donc donner accès au vaccin aux pays moins riches, qui en sont privés. Chaque pays occidental est aujourd’hui soucieux d’acquérir "son" immunité de groupe à l’échelon national, mais d’autres parties du monde sont laissées sans moyen de protection. Par conséquent, si la solidarité internationale ne se mobilise pas au travers de programmes d’aide comme Covax, nos stratégies seront vite déjouées, car la mobilité internationale et les échanges mondiaux ramèneront ces potentiels nouveaux variants.

L’acquisition d’une immunité de masse dans la société va de pair avec cette solidarité, mais aussi avec une surveillance étroite de l’apparition de nouvelles souches, l’isolement des patients concernés, et l’évolution de la recherche pour s’assurer du maintien de l’efficacité vaccinale, ou enfin, la nécessité future d’administrer un rappel adapté. Qui sait, un jour, un vaccin universel contre les différentes souches de Covid-19 sera-t-il découvert ?

Les "errements" du professeur Montagnier

En attendant, cette nouvelle théorie du Professeur Luc Montagnier "fait bondir" les spécialistes. L’ancien lauréat du prix Nobel de médecine en 2008 pour sa co-découverte du VIH n’en est pourtant pas à sa première sortie très contestée par la communauté scientifique.

Depuis la fin des années 2000, il multiplie les prises de position sans rapport avec les connaissances en biologie et en médecine ou parfois dépourvues de tout fondement scientifique.

Dans le cadre de l’apparition du nouveau coronavirus, il a notamment prétendu que le SARS-CoV-2 était un virus chimérique créé par l’homme et qui contenait des fragments du virus HIV. "C’est aisément vérifiable et c’est totalement faux", estime Eric Muraille. Il a également avancé que les vaccins contre la grippe tueraient les malades du Covid-19, ce qui est également faux, comme expliqué dans un article d’AFP Factuel. Le Professeur Montagnier s’est aussi associé à Henri Joyeux, radié de l’ordre des médecins en France, dans sa croisade anti-vaccins.

Pour Eric Muraille, le constat est sans appel : "Il n’a plus aucune crédibilité dans les milieux scientifiques".

Un prix Nobel, "pas une source de vérité absolue"

Mais comment, dès lors, expliquer qu’une partie de la population puisse adhérer à ces théories ? "Le prix Nobel confère une notoriété, une visibilité médiatique, ce qui explique l’intérêt des médias et du public pour les propos de Montagnier. De plus, Montagnier utilise un jargon scientifique qui peut prêter à confusion pour un non spécialiste. Tout ce qu’il dit n’est pas faux. Mais il y a un mélange de faits scientifiques et d’affirmations totalement erronées".


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Pour Eric Muraille, "le public doit comprendre qu’un prix Nobel n’est qu’une récompense prestigieuse donnée suite à un travail exceptionnel. Ce n’est en aucune manière une garantie que le lauréat est une source de vérité absolue. En science, ce n’est jamais l’autorité, ou le plus grand nombre, qui détermine ce qui est vrai. C’est la rationalité, la cohérence de la théorie avec ce qui est déjà connu et surtout les preuves empiriques, les observations vérifiables qui soutiennent la théorie. Absolument rien ne supporte les affirmations de Montagnier."

D’après les preuves empiriques actuelles, la vaccination est donc plutôt un bon moyen de lutter contre l’apparition de nouveaux variants sans en créer de nouveau, même si elle participe à la "sélection" de ces derniers.

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