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« Julieta » : les souvenirs, et les regrets aussi

Pedro Almodovar revient en compétition sur la Croisette avec un récit baroque, centré autour d’une mère inconsolable.

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Publié le 17 mai 2016 à 20h46, modifié le 28 mars 2017 à 18h18

Temps de Lecture 3 min.

Sélection officielle – en compétition

Au tout début de Julieta, la caméra caresse les plis d’un tissu rouge qui entoure un objet. Après les artifices outrés des Amants passagers, Pedro Almodovar signale ainsi son désir de filmer de nouveau la beauté – qui est d’ordinaire chez lui un chemin vers la douleur. Le tissu rouge servira d’emballage à un fétiche que Julieta (Emma Suarez, en ce prologue) emmènera loin de la capitale espagnole, pour suivre son amant Lorenzo (Dario Grandinetti). Une rencontre dans la rue, avec une amie de sa fille Antia, lui fait changer d’avis de façon incompréhensible pour le spectateur.

Lire la rencontre avec Emma Suarez : Tout sur sa nouvelle mère

A partir de ce moment, Julieta se pare des atours du thriller psychologique, puis du mélodrame. Pedro Almodovar, qui s’est inspiré de nouvelles de l’auteure canadienne Alice Munro, mettra en scène un drame affreux dans une gare, une gouvernante inquiétante, une catastrophe maritime. Tout ça pour donner des contours, une matière au malheur de Julieta, mère atteinte d’une blessure incurable. Or, cette blessure n’a rien d’extraordinaire, contrairement aux événements qui ponctuent le parcours de l’héroïne. Ce n’est que celle que portent tous les parents qui se sont aliénés leurs enfants. De cet alliage entre la banalité de la douleur et les formes fantastiques que peut lui donner le cinéma, ­Almodovar fait un beau film d’une tristesse très pure.

Le réalisateur Pedro Almodovar entouré des actrices Emma Suarez (à gauche) et Adriana Ugarte, lors de la présentation de « Julieta » en compétition au 69e Festival de Cannes, le 17 mai 2016.

Après avoir croisé l’amie de sa fille, Julieta loue, à l’insu de ­Lorenzo, un appartement dans lequel elle a déjà vécu. Elle est aux aguets, comme si elle s’attendait à voir surgir un fantôme, et cette possibilité du fantastique resurgira à d’autres moments du film. Les déambulations de l’esseulée dans des lieux infestés de souvenirs cèdent bientôt la place à de longs flash-back.

Incurable mélancolie

Julieta prend alors les traits d’Adriana Ugarte, jeune actrice, qui, comme Emma Suarez, joue pour la première fois sous la direction d’Almodovar. Si son aînée impose très vite une incurable mélancolie, la jeune Julieta n’emporte pas la conviction du spectateur. On lui accordera comme circonstance atténuante qu’il faut un registre hors du commun pour faire face à tous les cataclysmes que le scénario place sur son chemin. Au hasard d’un voyage nocturne en train qui ressemble à un rêve éveillé, Julieta rencontre Xoan, pêcheur galicien. Les péripéties de cette nuit d’hiver s’imprimeront aussi définitivement sur les rétines du spectateur qu’elles sont censées le faire dans l’inconscient de l’héroïne.

Adriana Ugarte et Rossy de Palma dans le film espagnol de Pedro Almodovar, « Julieta ».

Plus tard, la jeune femme prendra la décision de rejoindre Xoan, qu’elle découvrira veuf de fraîche date (elle arrive le jour de l’enterrement de l’épouse) et sous la coupe d’une femme de ménage dont Rossy de Palma fait une sérieuse concurrente à la Mrs Danvers de Rebecca, une femme cruelle confite en dévotion pour son maître, capable de toutes les cruautés. Cette partie centrale du film souffre des limites d’Adriana Ugarte, qui peine à traduire l’angoisse qui s’insinue en Julieta. Mais Almodovar filme la Galice comme Hitchcock filmait la Californie du Nord dans Vertigo ou Les Oiseaux et le scénario poursuit son implacable chemin, jusqu’à retrouver Julieta dans le Madrid d’aujourd’hui.

Almodovar filme la Galice comme Hitchcock filmait la Californie du Nord dans « Vertigo » ou « Les Oiseaux »

Tout est clair alors, la faute de la mère, la colère de la fille (personnage qui n’intéresse le metteur en scène qu’en tant que source de souffrance de la mère, un peu comme le fils mort de Tout sur ma mère). Mais rien n’est résolu, rien n’est pardonné : Antia reste hors d’atteinte, Julieta ne sait plus dans quel temps vivre – se réfugier dans le passé ou se risquer à une quête qui pourrait faire de son avenir un endroit encore plus désespéré. La dernière partie du film résoudra ce dilemme, sans apporter de certitudes.

C’est qu’il n’est pas facile de trouver, et de garder, sa place dans le monde. On remarquera qu’après Les Amants passagers, histoire d’un avion qui n’arrivait pas à quitter l’Espagne, Almodovar met en scène une femme incapable de quitter Madrid. Un moment, l’auteur de Parle avec elle avait envisagé de tourner ­Julieta en Amérique du Nord, dans les lieux évoqués par Alice Munro. Il s’est finalement résolu à rester en Espagne, à donner comme chambre de deuil à ­Julieta un appartement décoré comme dans les années 1980, au temps des premiers films de Pedro Almodovar.

Film espagnol de Pedro Almodovar avec Emma Suarez, Adriana Ugarte, Daniel Grao, Dario Grandinetti, Rossy de Palma (1 h 36). Sur le Web : www.pathefilms.com/film/julieta et julieta-lapelicula.com

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