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Partir ou rester ? Les artistes divisés face au FN

Travailler dans des villes gagnées par le Front national est une hypothèse rejetée par une partie du milieu culturel, notamment par Olivier Py pour le Festival d'Avignon.

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Publié le 29 mars 2014 à 08h00, modifié le 30 juin 2015 à 18h24

Temps de Lecture 5 min.

Olivier Py explique sa position :

Olivier Py sera à Avignon, dimanche 30 mars, pour voter au second tour des élections municipales… et affronter l'hostilité d'une partie des électeurs. « J'ai reçu une pile de lettres de menaces, souvent homophobes, depuis le début de la semaine », explique au téléphone le metteur en scène et directeur du Festival d'Avignon. Sa déclaration, le 24 mars, sur France Info, au lendemain du premier tour, évoquant l'hypothèse d'une délocalisation du Festival d'Avignon, et sa démission, en cas de victoire du Front national à Avignon, a déclenché une tempête.

Le choc de l'annonce d'Olivier Py est à la hauteur de la surprise du scrutin : dimanche 23 mars, le candidat FN Philippe Lottiaux est arrivé en tête (29,63 % des voix), devant la candidate socialiste Cécile Helle (29,54 %). Avignon, capitale mondiale du théâtre, dont le nom résonne avec celui de Jean Vilar, fondateur du festival en 1947, pourrait-elle basculer à l'extrême droite ? Si les experts semblaient, à la veille du scrutin, plutôt exclure ce scénario, l'hypothèse restait envisageable. Et dans ce cas, faut-il partir, ou au contraire résister et rester ? Le débat a fait rage toute la semaine dans le monde de la culture.

Au téléphone, mercredi 26 mars, Olivier Py explique sa position : « Certains disent que j'aurais agi de manière émotionnelle. Mais pas du tout ! J'ai sincèrement peur pour l'issue du scrutin à Avignon. C'est certain, j'irai travailler ailleurs si le FN gagne à Avignon », répète l'ancien patron du Théâtre de l'Odéon à Paris. Se passer du soutien de la ville paraît difficile, dit-il. Mais accepter l'argent, et tout négocier avec la municipalité FN, est au-dessus de ses forces. « Le Festival, c'est toute la ville. Tous les lieux du “in” lui appartiennent. Je ne peux pas mettre à la même table Jean Vilar et Jean-Marie Le Pen », déclare Olivier Py.

Lire la chronique Culture : Article réservé à nos abonnés Olivier Py se trompe

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Le patron du « off » d'Avignon, Greg Germain, s'indigne de cette position : « Devrions-nous, avec l'emblématique cité papale, abandonner Hénin-Beaumont, Perpignan, Béziers, Fréjus, Saint-Gilles ? Puis, pourquoi pas, ville par ville, les quartiers mal votants ? Non, nous devons accepter de nous colleter au monde, à ses difficultés, à ses contradictions. »

Comme le révèle le site du Nouvel Observateur, un autre directeur de festival emboîte le pas à Olivier Py : Christian Lacroix, de Musique en stocks, à Cluses, en Haute-Savoie – 42 000 spectateurs chaque été. Le FN pourrait cette fois-ci triompher, dit-il : « Plusieurs sponsors nous ont déjà annoncé qu'ils se retireraient si le FN l'emportait. »

Marine Le Pen se délecte de voir « l'intelligentsia » paniquer. « Il s'accorde des pouvoirs qu'il n'a pas, M. Py (…) Il est nommé, c'est un salarié. Il n'est pas propriétaire du Festival d'Avignon », déclare la présidente du FN, jeudi 27 mars, sur France Inter.

Partir, oui, mais où ? Rester, mais à quelles conditions ? « Dire je m'en vais, comme ça, ne rime à rien. Il n'y a pas une ville qui m'attend derrière la porte avec des lieux, des subventions. Et il y a plein de gens qui travaillent à Visa », souligne Jean-François Leroy, patron du festival de photojournalisme Visa pour l'image, à Perpignan, où le candidat FN Louis Aliot est arrivé en tête, le 23 mars. Les valeurs du FN et celles de Visa pour l'image « sont pour le moins éloignées », dit-il. La « vraie question, c'est à Louis Aliot qu'il faut la poser. Me laisserait-il travailler comme les trois mairies précédentes, c'est-à-dire en toute liberté, sans me passer un coup de fil ? Si on me dit que je ne peux pas faire ce sujet car il est trop propalestinien, ou trop antirusse, j'en tirerai les conséquences, effectivement. » Et de poursuivre : « Le Prix de la ville de Perpignan, financé par la mairie, est devenu le prix Rémi-Ochlik, du nom d'un jeune photojournaliste tué en Syrie. Mais une remise de prix par Louis Aliot, alors que son parti trouve que Bachar Al-Assad est un chef d'Etat irréprochable, serait inimaginable. »

RÉMINISCENCE DU PASSÉ

Le chorégraphe Angelin Preljocaj fait partie de ceux qui défendent Olivier Py. La situation lui rappelle des souvenirs : en 1995, il venait à peine d'arriver en résidence à la scène de Châteauvallon (Var) que Jean-Marie Le Chevallier (FN) s'emparait de la ville toute proche de Toulon. Aussitôt, Preljocaj et son ballet pliaient bagage. « Dès que l'on a entendu la déclaration d'Olivier Py, on l'a appelé pour le soutenir », raconte la directrice du ballet Preljocaj, Nicole Saïd. « En 1995, notre décision de partir était spontanée, épidermique. Mais on était aussi inquiets pour nos danseurs, pour la plupart homosexuels. Car, à l'époque, le FN organisait des ratonnades contre eux. Rétrospectivement, on ne regrette rien », ajoute Nicole Saïd. Le ballet Preljocaj a « erré quelques mois » avant d'être accueilli à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), où il se trouve toujours. Mais Châteauvallon a été aussi un lieu de résistance anti-FN, sous l'égide de Gérard Paquet. Cela lui a coûté son poste. Arrivé en 1998, le nouveau directeur, Christian Tamet, a décidé de mener des actions culturelles à Toulon. « Car le territoire n'appartient pas au FN », explique-t-il. L'équipe de Châteauvallon a réussi à installer un chapiteau dans le quartier Sainte-Musse sans en référer au maire !

Lire aussi le focus : Châteauvallon à l'époque du FN

Autre réminiscence du passé, à Orange, où Jacques Bompard (FN, puis Ligue du Sud) fut élu maire en 1995 – il a été reconduit le 23 mars, dès le premier tour. Les relations avec les Chorégies ont fini par se normaliser, précise le directeur des Chorégies, Raymond Duffaut. Mais les débuts ont été difficiles : « En 1996, le maire a retiré sa subvention aux Chorégies. Dans les 24 heures, le ministère de la culture a compensé le manque à gagner, mais pas les années suivantes. On s'est débrouillés avec nos fonds propres, qui sont très élevés. » Il poursuit : « Ensuite, Jacques Bompard a voulu nous faire payer la mise à disposition du Théâtre antique pendant le festival. Auparavant, le lieu était accessible à titre gracieux, comme c'est le cas pour la Cour d'honneur, à Avignon ». A la demande du conseil d'administration, en 1996, Raymond Duffaut a étudié l'hypothèse du déplacement des Chorégies à Vaison-la-Romaine (Vaucluse). « Mais on serait passés d'une jauge de 8 300 places à 3 300 places. Puis les commerçants et les hôteliers sont montés au créneau pour empêcher notre départ. » Le déménagement des Chorégies n'a pas été voté… Et le maire a renoncé à monnayer le Théâtre antique.

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